Une autre expression du théâtre de l’opprimé...
Les acteurs choisissent un sujet brûlant de l’actualité locale ou régionale (ou autre s’ils le souhaitent) qui va bien entendu intéresser les futurs spectateurs, les interpeller. Une petite pièce est préparée avec entrée sur scène, jeu et sortie. Cette scène sera jouée dans un lieu qui n’est pas un théâtre : lieu public, café, restaurant, hall de gare, magasin, ferry avec un public qui n’est pas prévenu.
Ce type de théâtre demande un gros investissement personnel quand on est sur le lieu de l’action. J’ai moi-même participé et assisté à du théâtre invisible et vais donc vous décrire une scène pour bien comprendre le déroulement de ce type d’action...
L’objet du litige était à cette époque un arrêté municipal d’interdiction de la mendicité l’été dans les rues piétonnes d’une ville touristique.
Une des actrices du groupe, s’installe, pauvrement vêtue dans une des rues piétonnes concernées à une heure de grande consommation dans les commerces et pose une pancarte devant elle, « chômeuse en fin de droit, plus de logement, plus rien ». Les gens passent, regardent, certains donnent une pièce.
2 actrices vont arriver, l’une qui va interpeller la mendiante de façon brutale, en lui faisant remarquer que c’est interdit, l’autre en prenant sa défense, tout cela à haute et intelligible voix, les 2 personnes échangent, s’interpellent, la mendiante reste silencieuse et les passants commencent à intervenir, à prendre partie pour l’une ou l’autre ; ce jour-là un groupe de jeunes est arrivé, horrifiés en prenant le parti de la mendiante, et en voulant agresser l’oppresseur, qui s’est échappé sous le prétexte d’aller appeler la police.
La deuxième actrice s’est interposée en faisant remarquer aux jeunes que l’agresseur n’avait pas essayé de téléphoner à la cabine publique toute proche et avait disparu, puis elle a proposé à la mendiante de l’emmener prendre un repas, et les 2 sont parties. 2 autres acteurs, dans le public ont continué la discussion, les échanges, avec le public intéressé. Ils sont là également pour intervenir rapidement en cas d’agressions vis-à-vis des acteurs. Le public n’est pas mis au courant qu’il vient d’assister à une scène de théâtre, cela pourrait être très désagréable pour les personnes ayant, dans le cas ci-dessus, donné quelqu’argent à la mendiante. L’important c’est la mise en évidence du problème, les questions qui sont posées et qui vont permettre de réfléchir.
Les sujets peuvent être très variés, l’actualité ne manque pas de sujets brûlants : agression dans les moyens de transport, discrimination par rapport à la couleur de peau, au fait d’être une femme, un enfant, petit, gros, maigre, l’essentiel est de toujours très bien préparer son texte de base, son jeu de scène et d’être prêt à improviser bien entendu en cas d’interventions imprévues. L’idéal, pour faire avancer les choses est (serait) que la scène soit jouée de nombreuses fois, dans différents endroits et qu’on arrive à faire changer les comportements, et même les arrêtés, les décrets, et pourquoi pas faire modifier une loi injuste (ça n’est pas gagné !).
Il peut y avoir parfois intervention de la police : les acteurs ont alors pour mission de se laisser emmener et de dévoiler leur qualité d’acteur uniquement au poste de police.
Le théâtre invisible nécessite plusieurs conditions préalables : tout d’abord une excellente connaissance du théâtre de l’Opprimé et de son éthique, une grande pratique du théâtre-forum et un groupe d’acteurs bien préparés, bien entraînés.
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